ENSEIGNER HISTOIRE ET INFORMATIQUE
DANS UNE UNIVERSITÉ FRANCOPHONE
Donald Fyson, Université Laval

Une communication au 77e Congrès de la Société historique du Canada, Ottawa, mai 1998
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Introduction

Dans cette communication, je vais tenter de faire le point sur l'intégration des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) à la formation des étudiants d'histoire de premier cycle dans une université francophone québécoise. Ma présentation est fondée sur mes expériences à l'Université Laval: dans un cours en histoire et technologies informatiques que j'ai donné en conjonction avec Marc Vallières, dans des cours plus généraux et comme responsable de la plupart des dossiers informatiques de mon département. Il est donc évident que mes commentaires se rapprochent davantage d'une réflexion personnelle et une étude de cas plutôt que d'une étude rigoureuse, mais j'espère qu'ils seront utiles quand même.

Je veux faire ressortir à la fois les similarités avec la situation dans les autres universités et les différences qui résultent des spécificités du milieu francophone québécois. Je veux proposer enfin quelques solutions aux barrières à une plus grande intégration des NTIC à la formation en histoire, aussi bien en général que dans le contexte spécifique des universités québécoises francophones.

1. Une situation similaire

Dans plusieurs sens, l'intégration des NTIC à la formation en histoire dans une université francophone québécoise ne diffère guère de la même opération dans les autres universités nord-américaines.

D'abord, les étudiants en histoire de la génération actuelle, à la différence de leurs prédécesseurs d'il y a cinq ans à peine, ont un fort intérêt général pour l'utilisation des NTIC. Par exemple, la création du cours spécialisé en histoire et technologies informatiques à Laval fut une initiative étudiante, présentée par eux au comité des programmes pour combler un trou qu'ils percevaient dans la formation offerte. Ceci n'est aucunement surprenant, compte tenu du discours social dominant sur la nécessité de s'adapter aux nouvelles technologies pour réussir dans la vie professionnelle et, en particulier, d'utiliser le W3.

Par ailleurs, les étudiants en histoire ne manquent pas de formation de base en informatique ou d'accès aux équipements nécessaires pour exploiter les NTIC. Un sondage mené auprès des étudiants d'histoire du premier cycle de notre département, en avril, nous l'a montré de façon spectaculaire. 90% des répondants utilisent régulièrement un ordinateur, et 97% affirment en être au moins capables. Près de 60% caractérisent leur niveau de compétence en informatique comme intermédiaire (52%) ou avancé (7%). Les trois quarts des répondants affirment pouvoir au moins utiliser les outils de base d'Internet (navigateur W3 et courriel), même si seulement le tiers le font de façon régulière. Enfin, les trois quarts affirment aussi être capables d'utiliser des ressources spécialisées pour historiens, telles que des banques de données bibliographiques, même si seulement le quart les utilisent de façon régulière. (Annexe I)

Il semblerait donc que l'intégration des NTIC à la formation en histoire, à Laval du moins, soit vouée à un succès retentissant. Toutefois, la volonté et la capacité n'équivalent pas nécessairement à la pratique. De fait, cette intégration est loin d'être acquise, une situation semblable à ce qui prévaut dans les départements d'histoire de toutes les autres universités québécoises et, d'après ce que je vois sur le W3, dans la plupart des universités canadiennes.

Par exemple, l'inscription à ce cours spécialisé en histoire et technologies informatiques est demeurée restreinte, avec une quinzaine d'étudiants pour l'automne 1997 et 25 de prévus pour l'automne 1998. La raison est évidente: c'est un cours au choix, pas un cours obligatoire, et dans le contexte d'horaires déjà chargés de cours méthodologiques, les étudiants n'ont pas nécessairement le goût de dépenser trois crédits au complet pour un complément méthodologique.

De plus, dans ce cours d'histoire et technologies informatiques, les étudiants semblaient chercher davantage une formation pratique qui leur serait utile dans n'importe quel domaine, plutôt qu'une formation spécialisée en histoire et informatique. Ils s'intéressaient surtout aux aspects généraux des NTIC, notamment l'exploitation de l'information électronique (en particulier, la recherche sur le Web) et la diffusion multimédia (la création de sites Web). Les méthodologies informatisées particulières à l'histoire, telles que la création de banques de données structurées à partir de données historiques, l'analyse quantitative, etc., les intéressaient moins, avec quelques exceptions. De fait, le seul type d'outil spécialisé qui captait leur attention était les banques de données bibliographiques, dont l'utilité pour la confection des bibliographies est incontestable. Quant aux discussions des implications épistémologiques et historiographiques de l'utilisation des NTIC par les historiens, les étudiants manifestaient un désintérêt considérable.

Pour ce qui est de la plupart des autres cours d'histoire à l'Université Laval, comme ailleurs dans le réseau universitaire québécois, l'utilisation même facultative des NTIC est restreinte, sauf exception. Par exemple, Laval est particulièrement forte en formation méthodologique, avec un cours complet sur la recherche bibliographique et un autre sur la préparation d'un travail long. Toutefois, il n'y a presque aucune intégration, dans ces cours, de l'apprentissage des outils électroniques essentiels pour la recherche bibliographique, soit les banques de données bibliographiques comme America: History and Life ou Historical Abstracts. Les outils sont mentionnés dans les guides des cours, mais leur exploitation ne fait pas partie du curriculum. Les effets se font sentir au niveau de l'utilisation subséquente de ces outils par les étudiants; comme on l'a vu, moins du quart les utilisent régulièrement (quoique la moitié les utilise au moins à l'occasion), tandis que l'utilisation régulière du catalogue électronique de la bibliothèque (une autre base de données bibliographiques) s'affiche au-delà de 80% (Annexe I).

Plusieurs facteurs expliquent ce décalage entre les capacités et les intérêts des étudiants à l'égard des NTIC et l'intégration véritable de ces dernières à la formation en histoire. Le manque de formation de la part des enseignants en est un, mais est loin d'être le plus important; de fait, de plus en plus de mes collègues acquièrent de bonnes compétences en NTIC, sans pour autant les utiliser dans leur pratique pédagogique.

Deux autres facteurs pèsent davantage. D'une part, il y a un manque au niveau des ressources nécessaires pour intégrer les NTIC dans les pratiques pédagogiques. Même si l'administration de l'université, comme partout, ne cesse de vanter les mérites du soi-disant virage technologique, les compressions budgétaires imposées par les gouvernements font en sorte que les ressources informatiques manquent, à un point tel qu'il est difficile d'intégrer l'informatique à la formation générale des étudiants. Comment, par exemple, imposer une recherche bibliographique dans America: History and Life ou Historical Abstracts à une centaine d'étudiants quand la bibliothèque ne possède qu'une seule copie des cédéroms et cela, même pas en réseau? Comment prévoir un cours qui exploite les ressources visuelles du Web ou des cédéroms d'images quand il n'y a qu'un seul appareil dans la faculté capable de projeter des images informatisées avec une clarté acceptable?

Mais d'autre part, il y a aussi la persistance d'une certaine perception, à savoir que nous ne pouvons pas imposer l'utilisation des NTIC aux étudiants, même au niveau simple de la recherche bibliographique, car ce ne sont pas tous les étudiants qui ont les compétences techniques et l'accès aux équipements informatiques requis. Des commentaires en ce sens, par exemple, apparaissent dans un petit nombre des réponses des étudiants d'histoire au sondage et sont aussi une des raisons pour lesquelles des enseignants, y compris moi-même, ont hésité à obliger les étudiants à utiliser les NTIC dans les grands cours obligatoires.

En dépit de ce portrait un peu désolant de l'intégration des NTIC à la formation en histoire à Laval, je dois toutefois souligner que la situation est en voie de changement rapide. Par exemple, le Département d'histoire est en train d'amorcer une réflexion collective en profondeur sur la place des NTIC dans la formation historienne, d'où le sondage que j'ai utilisé. Quelques enseignants commencent à exploiter davantage les capacités multimédia du Web pour ajouter de la valeur à leurs cours, dont Marc Vallières et moi-même. Il est prévu d'intégrer les NTIC dans les cours méthodologiques d'ici deux ans. Enfin, les étudiants ont mis sur pied un fonds d'investissement qui leur permet de bonifier les ressources technologiques disponibles pour la pédagogie.

Il reste quand même d'autres barrières significatives, dont la plus importante est sans doute le contexte particulier d'une université francophone dans un monde informatique anglophone.

2. Des particularités importantes

De fait, si les étudiants et les enseignants des universités francophones sont confrontés aux mêmes difficultés que les universitaires ailleurs, ils font face à des obstacles supplémentaires, qui tournent presque exclusivement autour de la question de la langue; en particulier, la domination de l'anglais dans le monde des NTIC et, en revanche, l'absence relative du français. Ceci est dû à une variété de raisons, notamment le retard relatif de la France en ce domaine et la pauvreté, informatique et autre, de la plupart des pays de la francophonie.

Cette domination de l'anglais, jointe à l'absence du français, a plusieurs effets néfastes. D'une part, les étudiants et enseignants francophones sont particulièrement mal pourvus en matière de livres, de manuels ou d'articles spécialisés portant sur l'histoire et l'informatique. Il n'existe en français aucun manuel sur le sujet et très peu d'articles adaptés aux besoins des débutants. Le seul recueil d'articles français, à ma connaissance, est celui dirigé par Martine Cocaud, dont le contenu n'est pas approprié pour des étudiants de premier cycle.(1) Cette situation, évidemment, est en contraste marqué avec le monde anglophone: mentionnons ses deux revues, ses recueils d'articles, ses manuels, etc. La confection d'une bibliographie de lectures obligatoires composée entièrement, majoritairement ou même substantiellement de titres en français est donc impossible, ce qui impose un fardeau additionnel aux étudiants et rend, pour eux, ces lectures moins intéressantes.

De plus, les ressources informatisées spécialisées en histoire, comme les banques de données bibliographiques, les cédéroms et les sites Web, sont pour la plupart en anglais. L'exemple type pour moi est l'Encyclopédie du Canada, la seule encyclopédie spécialisée en histoire canadienne. La version anglaise est disponible sur cédérom, avec même une mise à jour récente; par le biais de sa fonction de recherche plein-texte, elle me fournit souvent rapidement des informations précieuses. Mais l'édition française n'a jamais été mise à jour, encore moins mise sur cédérom. Il existe évidemment certaines exceptions, par exemple l'Histoire du Canada en images,(2)

mais même dans ce cas les textes qui accompagnent les images datent des années 1970. De fait, dans une recherche récente pour des cédéroms historiques en français qui dépassent le niveau de la simple vulgarisation, je n'en ai trouvé qu'un très petit nombre, comparativement au large éventail de titres en anglais.

La situation de l'histoire en français sur le Web fournit un autre exemple. Tout d'abord, il n'existe aucun répertoire Web (méta-index) général francophone de qualité pour les historiens. L'étudiant sérieux est donc souvent obligé de passer par un portail anglophone pour accéder au Web. De plus, comme nous le savons tous, la prédominance générale de l'anglais sur le Web est remarquable. Par exemple, j'ai consulté le répertoire Web proposé par le site de L'année philologique portant sur l'antiquité classique - sûrement pas un répertoire porté à négliger les sites francophones, d'autant plus qu'il concerne un domaine de recherche historique des plus multinationaux.(3) Des 96 sites proposés, 76 sont en anglais, onze en allemand, huit seulement en français et un en italien. Les étudiants de premier cycle en histoire à Laval ont tenté vaillamment de nager contre ce courant en proposant un répertoire Web général qui ne comporte que des sites francophones, mais ce tri linguistique a eu comme résultat pervers la présentation d'une multitude de sites français de moindre valeur, tandis que la plupart des sites les plus intéressants, étant en anglais, ont été écartés.(4) Ce n'est pas dire qu'il n'y a pas d'excellents sites francophones. Par exemple, dans le champ que je connais le mieux, l'histoire du Québec, je peux citer, entre autres, le site des Patriotes, certaines des collections numérisées de Rescol ou les expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale du Canada.(5) Mais ils sont perdus dans la mer des sites anglophones.

De plus, les ressources francophones qui existent sont parfois de piètre qualité, ce qui devient plus marquant compte tenu de leur petit nombre. Par exemple, la seule banque de données bibliographiques francophone qui traite exhaustivement de l'histoire du Québec est Amérique française: histoire et civilisation.(6) Il s'agit d'une merveilleuse collection de données bibliographiques, y compris la bibliographie exhaustive de Paul Aubin et la plupart des bibliographies régionales de l'IQRC. Malheureusement, l'organisation et l'interface sont parfaitement horribles, d'une complexité presque sans égal. Les quelques étudiants que j'ai dirigés vers ce cédérom sont tous revenus avec des histoires d'horreur; y lancer un débutant sera une excellente façon de le convaincre de retourner à ses volumes sur papier.

Cette prédominance de l'anglais et absence du français provoque parfois des réactions négatives de la part de certains étudiants du point de vue politique. Toutefois, c'est loin d'être avant tout ou même surtout une question politique, car la grande majorité des étudiants en histoire à Laval montrent une volonté de consulter des textes en anglais. Mais à un niveau très pratique, la prédominance de l'anglais dans le monde des NTIC rend l'utilisation de ces technologies plus difficile pour les étudiants francophones. Ainsi, les guides d'utilisation et les fonctions d'aide en anglais découragent les étudiants de les lire. Par ailleurs, la recherche par mots-clés, essentielle pour l'exploitation des ressources textuelles, échoue sans une bonne traduction en anglais du terme recherché et, de plus, exige une bonne commande de l'orthographe anglaise. Et de façon générale, la nécessité de lire dans une langue étrangère ralentit sensiblement cette opération intellectuelle fondamentale qu'est le tri de la masse d'information retournée par les recherches par mots-clés, que ce soit le bouquinage sur Web ou la recherche dans les banques de données bibliographiques.

Toutefois, ici aussi la situation n'est pas sans espoir. D'une part, la plupart des logiciels commerciaux utiles pour les historiens (gestionnaires de banques de données, navigateurs Web, etc.) existent maintenant en version française, ce qui rend beaucoup plus aisée leur intégration dans les cours de formation. D'autre part, des ressources électroniques significatives en français commencent à voir le jour: par exemple, le projet Gallica de la Bibliothèque nationale de France.(7)

De fait, en dépit de cette barrière linguistique, il me semble, d'une impression tout-à-fait subjective, que les départements d'histoire dans les universités francophones québécoises ne sont certainement pas moins avancés en matière d'intégration des NTIC que leurs homologues anglophones. Une visite rapide des sites Web des autres universités canadiennes ne révèle aucun écart considérable en ce qui concerne les cours spécialisés en NTIC offerts, l'intégration des NTIC dans les cours, les ressources disponibles dans les bibliothèques, etc. Par exemple, seulement cinq universités canadiennes, dont Laval, sont abonnées à la collection JSTOR, cette bibliothèque numérisée des séries complètes de plusieurs revues d'histoire importantes (malheureusement toutes américaines).(8) Par ailleurs, d'après les commentaires d'étudiants français en visite à Laval, les départements d'histoire francophones québécois sont bien plus avancés que leurs équivalents français en ce qui concerne l'intégration des NTIC, ce qui est confirmé par le manque quasi-total de sites Web des départements d'histoire en France.(9)

3. Des solutions

La situation des NTIC en histoire dans une université francophone québécoise comme Laval est donc à améliorer, mais loin d'être sans espoir. Je n'adopterai pas la même perspective pessimiste avancée il y a quelques années par Pierre Corbeil pour le système d'éducation au Québec en général.(10) Certes, il y a des difficultés, mais il y a aussi des solutions.

Certaines solutions sont d'ordre général. D'abord, nous devons mieux intégrer l'utilisation des NTIC aux travaux obligatoires des cours généraux. Sans une telle intégration, les NTIC resteront l'apanage des quelques étudiants qui s'y intéressent suffisamment pour dépenser des crédits précieux.

Une telle transformation, toutefois, ne peut pas se faire sans le consentement de la communauté entière, étudiants et enseignants. La plupart des étudiants, comme nous l'avons vu, sont favorables à une place accrue des NTIC dans leur formation. Il faut toutefois faire face à l'argument de l'accès aux connaissances et aux technologies. À mon avis, cet argument est de moins en moins valable. D'une part, si 97% des étudiants ont accès à un ordinateur, ce débat devient moins pertinent. Mais plus fondamentalement, nous imposons déjà une certaine utilisation de l'informatique, par le biais des catalogues des bibliothèques. Cela fait au moins une décennie que toutes les bibliothèques universitaires québécoises importantes ont délaissé leurs fiches pour des catalogues informatisés, que les étudiants sont donc obligés d'utiliser; et la recherche dans ces catalogues n'est guère plus facile que celle, par exemple, dans les banques de données bibliographiques. Je suis plus sympathique envers l'étudiant qui ne voulait pas que les NTIC soient utilisées dans ses cours car il n'avait pas la formation nécessaire mais qui, en revanche, souhaitait qu'un cours obligatoire sur les NTIC soit imposé dès le premier trimestre.

De la part des professeurs, il me semble que l'intégration doit obligatoirement passer par une réflexion collective, pour éviter une répétition de l'échec relatif qu'a subi la première tentative d'intégrer l'informatique à la formation historienne, par le biais de l'histoire quantitative, il y a une vingtaine d'années. Il est essentiel de s'assurer l'assentiment de collègues qui pourraient se sentir menacés par une technologie que, assez souvent, ils ne maîtrisent pas eux-mêmes. Une étape essentielle dans ce processus est de répondre aux critiques qui sont souvent portées à l'égard de l'utilisation des NTIC en histoire, en particulier en ce qui concerne les questions d'ordre épistémologique et méthodologique.

L'utilisation des ressources sur le Web est un exemple parfait: la plupart des professeurs d'histoire sont convaincus qu'il n'y a là rien pour les intéresser, encore moins pour intéresser leurs étudiants. Il est évident, comme nous le savons tous, que la majeure partie des sites Web à caractère historique sont de qualité douteuse, mais nous savons aussi qu'il existe des ressources précieuses. Nous devons donc convaincre nos collègues qu'il s'agit de plus qu'un simple divertissement, en adoptant une attitude critique envers les ressources Web et en pointant celles qui sont d'une réelle utilité.

Une autre question fondamentale est celle de la spécificité de l'utilisation des NTIC en histoire. Il faut éviter la tentation, fortement encouragée par les étudiants, de rester à un niveau général qui pourrait s'appliquer à n'importe quelle discipline. C'est l'équivalent proche de ce que nous faisons avec l'écriture: nous n'enseignons pas aux étudiants comment écrire, mais comment écrire en histoire, sinon nous devenons de simples rhétoriciens. Je rejette donc l'argumentation selon laquelle nous devons viser une formation générale en NTIC, et que le reste va suivre.(11) Nous devons plutôt miser sur la spécificité de l'histoire, aussi bien dans le contenu des ressources existantes que dans les méthodologies informatisées à adopter et les questions épistémologiques qui en découlent.

La question de l'investissement dans les ressources informatiques reste évidemment fondamentale. Toutefois, il me semble qu'un changement de perspective s'impose. Avec 90% des étudiants qui ont accès à et utilisent des ordinateurs à la maison, il n'est plus nécessaire d'investir davantage dans les grands laboratoires communs pour la pratique libre; d'autant plus qu'en histoire, les logiciels ne sont pas, pour la plupart, si étroitement spécialisés qu'ils sont hors de la portée de la plupart des individus, comme c'est le cas, par exemple, en géographie ou en certaines sciences pures. Avec un traitement de texte, un gestionnaire de bases de données simple (comme Filemaker), un chiffrier et un navigateur Web, l'étudiant en histoire a déjà en main les outils informatiques nécessaires pour une exploitation poussée des NTIC. Ce qui manque souvent dans les universités francophones québécoises, comme ailleurs, ce sont les investissements dans les ressources électroniques utiles aux historiens: cédéroms, services Web payants, en bref, tout le contenu à consulter et à utiliser plutôt que l'équipement pour le consulter.

D'autres solutions sont plus spécifiques au contexte francophone. Avant tout, comme je l'ai déjà souligné, ce qui manque sont des ressources en français: manuels, articles spécialisés, sites Web, etc. L'idéal serait d'encourager les créateurs des ressources informatisées en histoire à produire des versions françaises. Mais compte tenu du marché limité et du retard considérable de la France, au Québec francophone nous devons compter surtout sur nos propres moyens. Nous ne pourrons jamais penser à dupliquer tout le contenu qui existe; de plus, une connaissance d'au moins l'anglais, sinon d'autres langues, est essentielle pour toute recherche en histoire. L'objectif que nous devons viser, par contre, est que les points d'accès à la formation et à l'utilisation des NTIC par les étudiants d'histoire, en d'autres termes les usuels, soient autant que possible en français. Nous devons donc mettre nos énergies sur la création d'outils pédagogiques de base en français: articles portant sur les méthodologies fondamentales, guides d'utilisation pour les ressources existantes, et même un bon manuel en histoire et informatique. Par la suite, même si ce sont des ressources anglaises qu'ils doivent utiliser, cela ne diffère guère de la nécessité constante de consulter des articles spécialisés ou des livres dans cette langue. De fait, nos étudiants québécois sont à cet égard très avantagés par rapport aux autres étudiants de la francophonie, compte tenu de la place importante de la maîtrise de l'anglais dans leur éducation pré-universitaire.

Je vais conclure en mentionnant brièvement deux exemples de ces types de ressources, dans la création desquels je suis moi- même impliqué.

D'une part, je suis en train d'élaborer, pour mon département, un Guide des ressources sur Internet.(12) Le Guide ne vise pas à remplacer les multiples index qui existent déjà sur le Web; son but est plutôt de fournir, de façon systématique et commentée, des points de départ pour l'utilisation des ressources Internet par les historiens. En même temps, le Guide comprend de courts textes qui discutent brièvement des différents types de ressources qui existent et des possibilités et difficultés qu'ils comportent. Par contre, le Guide prend pour acquis que la plupart des sites sont en anglais et ne les exclut pas sur cette base, quoique l'inclusion de sites francophones de qualité soit privilégiée.

D'autre part, il y a le projet Histoire-Hypermédia, un projet interuniversitaire québécois (Laval, UQAM et Université de Montréal) dans lequel José Igartua est aussi impliqué. Ce projet vise la création d'un outil Web pédagogique de formation en recherche bibliographique en histoire.(13) On y trouve des textes sur comment s'y mettre pour faire une recherche bibliographique en histoire, y compris un texte que j'ai préparé sur l'utilisation des banques de données, en plus de descriptions détaillées des instruments de recherche bibliographiques les plus utiles pour les historiens, aussi bien sur papier que sous forme électronique. Le but éventuel est d'intégrer cet outil de façon centrale aux cours de méthodologie de base dans nos universités. Il faut dire que dans ce cas, les universités francophones ne sont pas en train de rattraper les autres; de fait, il me semble que ce projet est unique, du moins parmi les universités canadiennes et peut-être même à travers le monde.

En définitive, l'intégration des NTIC dans la formation en histoire donnée par les universités francophones québécoises est en marche, quoiqu'il y ait encore de grands pas à franchir. Il est même possible que nous puissions servir de modèle aux départements d'histoire des autres universités de la francophonie, dont le retard est considérable.


ANNEXE I: Résultats d'un sondage auprès des étudiants de premier cycle en histoire
du Département d'histoire de l'Université Laval (avril 1998)

114 étudiants ont répondu au sondage, surtout des 2e et 3e années. Pour éviter que ce ne soit pas surtout les étudiants intéressés à l'informatique qui répondent, les sondages ont été distribués et ramassés pendant les cours, comme on le fait pour les évaluations de cours.

Les équipements disponibles

88% des répondants affirment avoir accès à un ordinateur en tout temps; cette proportion grimpe jusqu'à 97% si on ajoute ceux qui disposent d'un accès occasionnel. La quasi-totalité de ces accès sont à la maison. En termes de plate-forme, 72% affirment être sur PC, dont plus de la moitié avec des machines Pentium.

Les compétences de base

De façon générale, 52% des répondants caractérisent leur niveau d'expertise informatique d'intermédiaire, 35% de débutant, 7% d'expert. Le tableau ci-dessous indique leurs diverses compétences:

 

utilisation
régulière

au moins
à l'occasion

au moins
capable

1. Logiciels
Traitement de textes

90%

95%

97%

Navigateur Web

36%

64%

77%

Courriel

37%

56%

75%

Gestionnaire de base de données

8%

14%

34%

Chiffrier

7%

19%

48%

2. Ressources électroniques
Catalogue de la bibliothèque

84%

89%

93%

Bases de données

23%

54%

71%

Sites Web, cédéroms, etc.

18%

45%

54%

Les souhaits pour l'intégration de l'informatique dans la formation en histoire

De façon générale, 88% des répondants souhaitent que les professeurs d'histoire intègrent davantage les NTIC dans leurs cours. Le tableau ci-dessous indique quelques souhaits plus spécifiques relativement à la matière enseignée. Le questionnaire proposait une grille de A à E, A étant jugé essentiel et E sans intérêt.

 

A

A ou B

Banques de données bibliographiques

42%

72%

Autres ressources électroniques

28%

70%

Création des bases de données

24%

64%

Diffusion multimédia

21%

58%

Analyse quantitative

11%

43%


Notes

1. Cocaud, Martine (dir.). Histoire et Informatique. Bases de données, recherche documentaire, multimédia. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995. 263p.

2. Ottawa, Office national du film du Canada, 1996.

3. callimac.vjf.cnrs.fr/Ant_class.html. À noter que toutes les références aux pages Web dans ce document sont en date de mai 1998.

4. www.fl.ulaval.ca/asso-hst/lien.html.

5. www.er.uqam.ca/nobel/k14664/patriote.htm; www.schoolnet.ca/collections/francais/index.htm; www.nlc-bnc.ca.

6. Montréal, SDM, 1995.

7. www.gallica.bnf.fr.

8. www.jstor.org/about/participants_na.html.

9. Une recherche dans www.yahoo.fr, par exemple, sous la rubrique «Sciences humaines et sociales:Histoire:Enseignement et formation:Écoles, universités et facultés» retourne quatre sites de départements d'histoire, tous au Canada. Il y a toutefois au moins quatre départements français qui ont des sites, mais c'est minimale.

10. «Our Heritage: What Will They be Reading in Volume Twenty-Two?», History Microcomputer Review, 11(2)(1995), p.33-44.

11. Tim Hitchcock, «"She's Gotta Have I.T.": Teaching Information Technology to Undergraduate History Students,» History and Computing, 5(3)(1993), p. 193-198.

12. www.hst.ulaval.ca/internet/internet.htm.

13. www.unites.uqam.ca/h-h/. Pour le moment, l'accès au site est limité aux utilisateurs des trois universités concernées.